Cela doit avoir le goût et l’apparence de la viande

Les mangeur·euse·s de viande convaincu·e·s ne choisiront un burger végétarien ou un émincé de tofu que si cela ressemble à de la vraie viande. C’est ce que montrent des enquêtes menées par la chercheuse Fabienne Michel, qui étudie le comportement de consommation. Mais reproduire de la viande plus vraie que nature à partir de produits végétaux reste encore difficile.

Les aliments à base d’insectes contiennent beaucoup de protéines et peu de graisses. Exactement ce que recherchent nombre de consommateur·rice·s. Et pourtant, on ne trouve quasiment plus ces produits dans les magasins. Manifestement, les consommateur·rice·s ne mangent pas de tout.
Je n’investirais pas mon argent dans des aliments à base d’insectes. Les enquêtes menées par notre institut montrent qu’ils peuvent provoquer du dégoût. Ces produits ne sont pas faciles à vendre. Les protéines végétales, en revanche, trouvent un écho positif auprès des consommateur·rice·s.

Ce serait mieux pour l’environnement si les gens consommaient davantage d’aliments à base de protéines végétales. Or beaucoup ne veulent pas renoncer à un bon morceau de viande. Est-ce une question de génération ?
Nous avons observé que les plus jeunes sont davantage ouvert·e·s. Pendant des années, le plat principal traditionnel se composait de trois parties : de la viande, des légumes et des glucides sous forme de pommes de terre, de riz ou de pâtes. Si l’on enlève la viande de cette assiette, cela saute aux yeux. Néanmoins, les personnes jusqu’à l’âge de 35 ans environ sont habituées très jeunes à se nourrir tout en se déplaçant. Elles ne mangent pas ce genre d’assiette composée des trois aliments mentionnés plus haut. Elles acceptent donc plus volontiers qu’il n’y ait pas de viande au menu.

Mangera-t-on donc davantage de protéines végétales et moins de viande dans dix ans ?
Mon pronostic est le suivant : la consommation de protéines alternatives va augmenter. Mais la question est de savoir si nous allons également assister à une baisse de la consommation de viande. Je pense que nous mangerons moins de viande en Suisse mais pour le coup une viande de qualité. Au niveau mondial, toutefois, la consommation de viande ne semble pas diminuer.

Sous quelle forme devrait-on servir des protéines végétales à quelqu’un qui aime la viande de sorte qu’il opte davantage pour ces dernières ?
Nos recherches montrent que plus on mange de viande, plus les aliments végétaux doivent se rapprocher de la viande. Pour ces consommateur·rice·s, il faut donc que la viande que l’on reproduit à partir de denrées végétales soit plus vraie que nature. Mais aujourd’hui, une viande avec os est encore difficile à imiter. En revanche, pour les autres plats comme l’émincé, on y arrive de mieux en mieux : on ne peut quasiment plus dire s’il s’agit de viande ou pas. Ce sont principalement les personnes flexitariennes ou végétariennes qui consomment des produits alternatifs à la viande qui n’ont ni le goût ni l’apparence de la viande.

La texture n’a donc pas la même importance pour tou·te·s les consommateur·rice·s. Qu’en est-il du goût ? Et du prix ?
La question du prix est très importante. Les alternatives végétales ne sont pas forcément moins onéreuses et lorsqu’elles coûtent sensiblement plus cher que la viande, peu de gens seulement sont disposés à payer plus, au profit du bien-être animal ou de l’environnement. Mais plus l’on produira d’alternatives végétales, plus leur prix baissera. Et bien entendu, le goût a aussi son importance. Si l’on n’aime ni le goût ni la texture, alors on s’abstiendra d’en acheter une deuxième fois.

Pour quelles raisons les gens consomment-ils des protéines végétales plutôt que de la viande ?
Nos recherches montrent que c’est souvent pour l’une des trois raisons suivantes : la santé, le bien-être animal ou l’environnement. Les flexitarien·ne·s, notamment, mangent moins de viande et consomment davantage d’alternatives végétales pour des questions de santé. Mais beaucoup de consommateur·rice·s aiment tout simplement essayer quelque chose de nouveau. Nous avons par ailleurs observé que les femmes choisissent davantage une alimentation végane que les hommes. En règle générale, les femmes se préoccupent davantage de leur santé et la société accepte aussi plus facilement une alimentation végane chez une femme que chez un homme.

Les consommateurs·rice·s partent-ils·elles du principe que les protéines végétales et celles contenues dans la viande se valent ?
Pour beaucoup de consommateur·rice·s, une protéine est une protéine, tout simplement. Or ce n’est pas si simple. Les protéines sont constituées de plusieurs acides aminés. Le profil des acides aminés contenus dans les protéines d’une seule plante est souvent incomplet, contrairement à celui de la viande. Cela signifie que, dans le cas des protéines végétales, tous les acides aminés nécessaires à notre organisme ne sont pas présents. Mais si l’on associe des céréales à des légumineuses, alors leurs profils d’acides aminés se complètent. Il est donc possible de couvrir correctement le besoin en protéines avec une alimentation végétale.

Il y a encore quelques années, les personnes véganes étaient perçues comme des bizarreries. Aujourd’hui, l’alimentation végane a le vent en poupe. Comment cela s’explique-t-il ?
En Suisse aussi, nous ressentons les effets du changement climatique ; beaucoup de personnes prennent conscience qu’elles doivent changer leur comportement. De plus, ces derniers temps, la population a voté sur un certain nombre d’initiatives populaires sur des questions relatives à notre approvisionnement en eau et en denrées alimentaires, par exemple l’initiative pour une eau potable propre, l’initiative sur les pesticides, et récemment l’initiative sur l’élevage intensif. Aucune n’a été acceptée mais elles ont néanmoins suscité quelque chose. Les gens ont beaucoup échangé sur ces thèmes, ce qui a permis d’éveiller les consciences. Nous sommes nombreux·euses aujourd’hui à remettre en question les produits que nous achetons. Nous voulons savoir d’où ils viennent et ce qu’ils contiennent.

Qu’est-ce qui vous intéresse aujourd’hui principalement en tant que chercheuse ?
Mon projet personnel porte sur le tofu. Celui-ci a mauvaise réputation et pourtant il possède un profil d’acides aminés très intéressant. Il fut l’un des premiers produits alternatifs à la viande, la qualité n’était pas très bonne au début et l’on ne savait pas vraiment comment le cuisiner. S’il n’était pas apprécié par le passé, il n’est toujours pas consommé aujourd’hui. Il faudrait vraiment donner une nouvelle image au tofu.

Vous avez dit que vous ne mettriez pas votre argent dans les produits à base d’insectes. Dans quelles alternatives à la viande investiriez-vous ?
Dans les féveroles et les pois chiches, par exemple. Les féveroles font actuellement l’objet de nombreuses études sur la manière dont on peut les transformer. Quant aux pois chiches, on les connaît à travers le houmous, ce qui facilite l’accès. Ces deux légumineuses sont par ailleurs délicieuses.  Mais j’investirais aussi de façon générale dans les protéines végétales, car il semble n’y avoir aucune autre alternative que celles-ci pour remplacer la viande.