26. mars 2020

«La numérisation fait partie du quotidien d'une école»

Alexandre Luyet - Autres thèmes

Madame Arja-Sisko Holappa est conseillère pédagogique et responsable du programme Impact à l’Agence nationale finlandaise pour l’éducation.
Nous l'avions invitée le 8 février dernier à présenter le modèle éducatif finlandais lors du colloque sur la numérisation à l’école coorganisé avec le Service de promotion de l’éducation de l’EPFL. Comment imaginer à l'époque qu'à peine un mois plus tard, la digitalisation à l'école soit devenue un thème aussi actuel dans le contexte de la pandémie de COVID-19? Voici son interview réalisée le 8 février en marge de l'événement.

D’après ce que vous avez vu et entendu aujourd’hui, quel est votre point de vue sur la numérisation dans les écoles suisses, et votre vision pour l’avenir?
Je constate qu’une importante évolution est en cours. Ce ne sont pas que des discours creux; je vois des attentes élevées et beaucoup de possibilités. Les plans et le développement présentés sont réalistes.

Pourriez-vous nous parler du programme Impact que vous dirigez actuellement?
Le programme Impact développe des processus importants, les plus conséquents étant ceux pour le programme scolaire. Ceux-ci sont développés de manières différentes à divers niveaux de formation.
De nombreux enseignant.e.s partent à la retraite, de nouveaux arrivent. Nous demandons aux professeurs comment ils trouvent ces processus et ce qu’il y aurait de plus à développer d’après eux. Nous menons de vastes enquêtes. Il reste beaucoup de travail à abattre, mais les idées affluent.

Vous avez une longue carrière dans l’enseignement et vous avez eu de nombreuses casquettes. Comment avez-vu vu l’arrivée et l’enracinement de la numérisation dans les écoles finlandaises?
J’étais enseignante dans les années 1980 quand la révolution numérique a commencé. A l’époque, les premiers ordinateurs personnels étaient énormes et leur puissance limitée à 20 megas, mais cela suffisait. L’évolution a été si rapide. Cette décennie a vu le lancement d’un grand programme national pour les enseignant.e.s en Finlande. La formation aux compétences informatiques de base et à d’autres compétences associées a eu un impact considérable sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) en milieu pédagogique. Le problème, cependant, était que le matériel et la connectivité n’étaient pas adaptés pour une utilisation pédagogique à proprement parler. L’enthousiasme des débuts est vite retombé. Les vrais progrès ont été concomitants avec l’arrivée de bon matériel: tableaux blancs numériques, PC pour les classes, appareils photo numériques… Puis la connexion sans fil est arrivée. Nous utilisons ces outils dans de nombreux domaines éducatifs aujourd’hui.

Dans les années 1990, les municipalités étaient responsables de la santé et des services, les écoles y comprises. Elles ont constaté que différents départements achetaient leur propre matériel informatique. Les achats auraient dû être regroupés, mais ce n’était pas la meilleure solution du point de vue des écoles, car ce matériel était initialement prévu pour un usage de bureau et non à usage pédagogique.

Les différents acteurs ont discuté des besoins spécifiques de l’éducation pendant plusieurs années. Cela n’est plus un problème aujourd’hui, sauf d’un point de vue financier: il n’y a pas assez d’argent pour maintenir le matériel à jour.

Quels ont été le rôle et l’influence des différents acteurs impliqués (enseignant.e.s, politicien.ne.s, élèves, entreprises), et comment ont-ils collaboré?
La collaboration doit être organisée de sorte que le système scolaire reste gratuit et cohérent.
Sur le plan économique, la coopération avec les entreprises du secteur des TIC est restreinte, cependant les systèmes d’exploitation Microsoft et Apple ont été achetés pour les écoles, et ces dernières en sont maintenant dépendantes. De nombreuses entreprises du secteur des TIC auraient voulu vendre leurs produits estampillés «Approuvé par le gouvernement de Finlande», mais celui-ci a refusé. Il y a actuellement quelques collaborations avec des entreprises, toutefois à petite échelle. Quelques start-up finlandaises prometteuses ont un accord avec des municipalités, mais les accords commerciaux avec les écoles ne sont pas autorisés.

S’agissant des outils, les plus grandes municipalités prévoient de connecter notre plateforme éducative électronique à de nouveaux systèmes qui aideront les enseignant.e.s à planifier leur travail et à évaluer les élèves, parmi les fonctionnalités possibles.

L’Etat n’est pas officiellement impliqué dans la mise au point de ces systèmes, mais il l’est indirectement via les municipalités.

Comment cela se traduit-il sur le terrain, concrètement? Je pense plus précisément aux ressources financières et humaines impliquées, aux formations pour les enseignant.e.s, aux outils de formation, à l’apprentissage, etc.
Le matériel d’apprentissage et de formation (outils numériques, équipement, etc.) relève de la responsabilité des municipalités, qui l’achètent et l’utilisent d’après les connaissances dont elles disposent. L’Etat a eu financé l’achat de matériel, mais ce n’est plus le cas. Les municipalités utilisent donc leurs propres ressources. L’Etat avait un budget conséquent pour mener d’importants programmes de développement, malheureusement cela n’a pas duré. La stratégie actuelle est différente et se concentre sur des petites étapes progressives. Par exemple, l’Etat subventionne la formation des enseignant.e.s à l’utilisation du matériel, mais aussi à l’utilisation pédagogique des TIC.

Qu’implique vraiment la numérisation dans les écoles?
La numérisation fait partie du quotidien des écoles; nous ne faisons pas de distinction entre les activités numériques et non numériques au quotidien. Par exemple, les enfants à l’école enfantine utilisent des tablettes, prennent des photos, jouent à des jeux, utilisent les programmes installés. Les enseignant.e.s rendent compte de ces activités en prenant des photos qu’ils envoient aux parents. A l’école primaire, les tablettes font partie du matériel d’éducation, presque au même titre qu’un stylo ou un livre. Au moment de la formation professionnelle, la numérisation est étroitement organisée avec les entreprises et les outils à disposition des étudiants sont en lien avec leur domaine de formation. Nous couvrons tous les domaines professionnels.

Quels ont été les défis de cette révolution numérique dans l’enseignement et la formation?
Le plus gros défi a été celui des ressources humaines et financières. L’introduction du numérique dans les écoles ne fut pas chose aisée à l’époque, et c’est toujours le cas à l’heure actuelle. Les municipalités ont des problèmes de budget et doivent réduire les coûts de matériel et de personnel. Des écoles enfantines ont même dû fermer.

Qu’est-ce qui s’est avéré fructueux et qu’est-ce qui n’a pas marché?
Nous pensons que l’éducation numérique doit être organisée comme une partie intégrante de la vie quotidienne. Nous avons constaté que les formations sont particulièrement efficaces lorsqu’elles sont données dans les écoles. C’est une question de responsabilisation. Les étudiants doivent sentir qu’ils sont capables d’apprendre et de surmonter cet écueil, même si ce n’est pas du premier coup.

Pourquoi ces actions-là marchent-elles particulièrement bien? Comment pourraient-elles s’appliquer dans des pays où la culture, le rythme scolaire et le système éducatif sont différents?
Certaines actions, telles que développer un réseau d’enseignant.e.s pour se maintenir informé.e.s ou visiter d’autres écoles pour être à jour sur les différentes méthodes d’enseignement, peuvent s’adapter partout. Les enseignant.e.s doivent observer les évolutions de la société. Certain.e.s sont réticent.e.s au numérique à l’école, alors qu’ils et elles-mêmes utilisent des ordinateurs portables, les réseaux sociaux, paient leurs factures en ligne, etc. Ces compétences sont aujourd’hui fondamentales, au même titre que savoir lire. Le rôle des enseignant.e.s est de préparer les enfants à un apprentissage tout au long de leur vie, afin que personne ne puisse dire qu’il ou elle n’est pas «branché.e numérique». C’est une réflexion plus profonde que cela, qui concerne le type de société que nous voulons. L’époque où nous apprenions en écoutant est révolue. Un proverbe finlandais dit qu’on oublie vite ce qu’on apprend sans entrain. Nous sommes de bon.ne.s apprenant.e.s, mais nous apprenons aussi des choses inutiles. Alors que tout ce que nous apprenons, en étant motivé.e.s, nous le garderons toute notre vie.

Comment le numérique et l’insouciance du jeu peuvent-ils être compatibles? On accuse souvent les écrans d’abrutir les enfants car ceux-ci n’utilisent plus autant leurs capacités cognitives.
Cela dépend vraiment de votre utilisation du matériel informatique. Est-ce pour vous divertir, par exemple? Les jeunes enfants s’amusent rien qu’avec des sons et de la musique.

Il y a eu un débat en Finlande sur le temps d’écran qui a mené à le restreindre, surtout pour les plus jeunes. Nous partons du principe que, d’une manière générale, le temps d’écran devrait être utilisé à but éducatif. Nous devons réapprendre à apprendre.

Que vous ont inspiré les présentations et discussions d’aujourd’hui? Voyez-vous des actions menées en Suisse et en France qui pourraient marcher en Finlande, à votre avis?
Le modèle éducatif par les pairs comme l’Ecole 42 est quelque chose à envisager à l’avenir. En Finlande comme dans le monde, il y a une pénurie de professionnels des TIC et du codage, ce qui rend ce modèle vraiment très intéressant. Nous devons réfléchir à d’autres modes informels d’apprentissage, comment nous développons un savoir-faire au travers de nos passions. Pourrait-on créer un système qui reconnaîtrait ces connaissances? Aujourd’hui, des universités de sciences appliquées organisent des ateliers de programmation pour les adultes. Ces cours sont très populaires, car accessibles et gratuits.

J’ai aussi beaucoup aimé la présentation de Madame Cesla Amarelle sur l’organisation de la transition numérique dans les écoles à venir dans les prochaines années. Je pense que c’est excellemment bien pensé et très concret. Cela s’annonce comme un très grand succès. 

Interview: Laurianne Trimoulla

Pour plus d'informations

Edith Schnapper, chargée de programme Swiss TecLadies en suisse romande, edith.schnapper(at)satw.ch, 044 220 50 26

 

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